Dessiner à la plume

Henri Blanc dessin Dessiner à la plume ink drawing

La plume c'est avant tout la lenteur. C'est une voleuse de temps. L'oeuvre se construit par ponctuations, par arrêts incessants, pour replonger la plume dans l'encre, pour retirer les pâtés d'encre en se salissant les doigts, pour retrouver dans le fouillis de la nature le détail sur lequel on était concentré et qu'on a perdu en baissant la tête. La plume, c'est faire transiter une émotion de l'oeil à la main en baissant la tête.

La plume c'est un saut : tu te lances direct, sans esquisse au crayon, tu nages, tu te débats. Tu ne contrôles pas la finesse du trait, tu t'énerves, l'encre sèche sur la plume, tu t'énerves. Tu te disputes, tu vas voir ailleurs et tu reviens. Addiction.

La plume c'est la profondeur. Tu as fini le dessin, tu le laisses reposer. Tu le reprends, plus tard, et tu lui donnes de la profondeur, tu creuses les ombres, tu fonces les noirs, pour qu'ils deviennent de plus en plus noir. La plume c'est la nuance du noir.

Le figuratif ne veut rien dire pour moi, pas plus que l’abstrait. Ce n’est pas parce que je représente un arbre qu’il est ce que je donne à voir de lui. On dira que mes références datent, je m’en fous. Paul Klee a écrit : « L’art ne reproduit pas le visible. Il rend visible. » Je pense à cette phrase chaque fois que je prends la plume. Et pourtant je suis convaincu que ce qu’il y a d’important dans une œuvre, c’est ce qui reste invisible et pourtant sensible.

L’anthropocentrisme m’agace. Cette tendance naturelle qu’ont les humains à se regarder et à s’admirer, en peintures, en photos, en statues, en icones ne m’intéresse pas plus que ça. J’y vois, sans doute à tord, un orgueil incommensurable à se croire l’alfa, le centre et l’oméga du monde. Donc naturellement je représente peu d’humains. Sauf ceux que j’aime, au risque de les décevoir. L’avantage des chats et des arbres c’est qu’ils ne sont pas déçus de la façon dont je les représente. Un humain dira facilement qu’on l’a enlaidi. C’est déjà vrai en photo où, par définition, on attrape les gens tels qu’ils sont. Alors à la plume c’est pire.